Le politiquement correct ayant gagné nos contrées, il nous a été donné d’observer certains glissements sémantiques qui, s’ils sont intéressants en ce qu’ils nous disent de notre époque et de son incapacité grandissante à désigner un félidé par son véritable nom, montrent surtout un appauvrissement linguistique qui se donne à voir et à s’entendre quotidiennement.

Un individu peut se priver de relations sexuelles, donc être abstinent, pour toutes sortes de raisons, qu’elles soient volontaires (choix religieux ou moraux) ou subies (manque de confiance en soi, blocage psychologique, etc). L’abstinent donc aimerait bien participer à ce qui lui échappe mais soit il a décidé de s’abstenir, soit les circonstances en ont décidé pour lui.

Contrairement à un abstinent, un asexuel ne se prive pas de relations sexuelles puisqu’il ne ressent pas le besoin d’en avoir. Qui plus est, nombreux sont les asexuels qui ont en réalité des relations sexuelles. Mais là où un abstinent s’autoriserait un plaisir, l’asexuel s’oblige à une corvée. On peut donc dire que les deux dénominations sont aux antipodes l’une de l’autre.

Il n’y pas qu’en politique que les mots sont réquisitionnés pour désigner autre chose que ce qu’ils signifient[1]. L’abstinence est la privation de relations sexuelles, mais on a récemment observé que c'est le mot 'asexualité' qui lui est parfois substitué. Depuis peu, en effet, les asexuels font parler d'eux et ont su susciter dans les médias un intérêt manifeste. On a alors parlé de phénomène pour décrire ces personnes, et en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire, le mot par lequel les asexuels se désignaient est devenu tendance. Comme la seule forme connue de non-sexe était l'abstinence, et comme l'asexualité était vue comme impossible par certains, ceux-ci ont alors pensé qu'il s'agissait de la même chose et ont joyeusement entrepris d'appeler 'asexuels' les personnes abstinentes.

Heureusement, les choses vont en s'améliorant et il n'est plus rare aujourd'hui de voir que la différence entre les deux notions est désormais bien comprise, aussi bien dans le domaine de la recherche sur la sexualité que parmi des thérapeutes ou des médias plus généralistes.

Notes

[1] Tout cela fait irrémédiablement penser à la croissance négative d’un ministre n’osant parler de récession.